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24/02/2021

Enlèvement d'enfant vers un État tiers dans lequel il a acquis sa résidence habituelle : compétence perpetuatio fiori des États membres ?

L'avocat général, Athanasios Rantos, estime que les juridictions d'un Etat membre sont compétentes pour statuer dans un litige parental quand un enfant, qui avait sa résidence habituelle dans cet État, est déplacé illicitement dans un État tiers où il acquiert sa résidence habituelle. Les juridictions des États membres conservent cette compétence sans limite dans le temps. Cette affaire est l'occasion d'examiner la portée territoriale et les conditions d'application de l'article 10 de ce règlement.

Une enfant de nationalité britannique, qui avait sa résidence habituelle au Royaume-Uni, est déplacée illicitement par sa mère dans un État tiers, en l'occurrence l'Inde, où elle acquiert sa résidence habituelle. Le père de cette enfant saisit une juridiction britannique d'un recours visant à obtenir son retour au Royaume-Uni ainsi qu'un droit de visite. Cette juridiction est-elle compétente pour statuer sur un tel recours, au titre du règlement Bruxelles II bis (PE et Cons. UE, règl. (CE) n° 2201/2003, 27 nov. 2003, art. 10) ?

Sur le champ d'application territorial du règlement Bruxelles II bis

L'Avocat général indique d'abord qu'il résulte clairement de la jurisprudence de la Cour que l'application du règlement Bruxelles II bis peut concerner des rapports juridiques impliquant des États tiers (CJUE, 17 oct. 2018, aff. C-393/18, UD). Et ce, alors même que son libellé ne fait nullement mention de ces États. Il rappelle ensuite que le règlement Bruxelles II bis prévoit qu'en cas de déplacement ou de non-retour illicites d'un enfant, les juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence jusqu'au moment où l'enfant a acquis une résidence habituelle dans un autre État membre.

Application de l'article 10 dans le cas d'un déplacement ou d'un non-retour illicites vers un Etat tiers

Selon l'Avocat général, eu égard au libellé de l'article 10 du règlement, il n'existe pas de « vide juridique » pour la situation dans laquelle un enfant fait l'objet d'un déplacement ou d'un non-retour illicites s'agissant d'un Etat tiers. Dès lors que l'enlèvement ne se produit pas vers un État membre, ce sont toujours les juridictions de l'Etat membre d'origine qui sont compétentes pour statuer sur la responsabilité parentale à l'égard de cet enfant. Peu importe que l'enfant acquière une résidence habituelle dans l'État tiers, dans la mesure où il n'acquiert pas sa résidence habituelle dans un autre Etat membre.

Ainsi, à la différence de la situation existant entre deux Etats membres, les juridictions de l'Etat membre où l'enfant résidait habituellement avant son enlèvement vers un État tiers demeurent compétentes sans limite dans le temps (perpetuatio fiori). Il précise que si un enfant a été enlevé vers un État tiers, la coopération et la confiance mutuelle prévues par le droit de l'Union ne peuvent trouver à s'appliquer. Par conséquent, il n'existe pas de justification pour admettre la compétence des juridictions de cet État tiers, y compris dans le cas où l'enfant enlevé a acquis sa résidence habituelle dans ce dernier Etat.

Intérêt supérieur de l'enfant

De façon générale, l'objectif du règlement Bruxelles II bis, dans l'intérêt supérieur de l'enfant, est de permettre à la juridiction qui lui est la plus proche et qui, dès lors, connaît le mieux sa situation et l'état de son développement, de prendre les décisions nécessaires. Mais, selon la jurisprudence, ce règlement vise à dissuader les enlèvements d'enfants et un tel enlèvement ne devrait pas, en principe, avoir pour conséquence de transférer la compétence des juridictions de l'État membre dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement. Or, l'objectif de dissuader les enlèvements ne disparaît pas au seul motif que le déplacement est effectué vers un État tiers. Ainsi, l'Avocat général estime qu'une action illégale, à savoir l'enlèvement d'un enfant par l'un de ses parents, n'entraîne pas un changement de la juridiction compétente pour statuer sur la responsabilité parentale, en vue de protéger l'intérêt supérieur de cet enfant.

Il ajoute que lorsqu'un enfant, citoyen européen, est enlevé vers un État tiers, considérer que les juridictions de cet État sont compétentes pour statuer sur la responsabilité parentale à l'égard de cet enfant revient à couper tout lien avec le droit de l'Union, alors même que cet enfant est victime d'un déplacement ou d'un non-retour illicites. Cette action illicite ne peut pas priver un tel enfant de la jouissance effective du droit de voir la responsabilité parentale à son égard examinée par une juridiction d'un État membre.

Il recommande donc à la CJUE de juger que les juridictions de l'Etat membre dans lequel un enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites conservent leur compétence pour statuer sur la responsabilité parentale à l'égard de cet enfant, sans limite dans le temps, lorsque l'enlèvement de cet enfant a lieu vers un Etat tiers, y compris lorsqu'il acquiert sa résidence habituelle dans cet Etat tiers.

Sources LexisNexis

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