Chronique Juridique
12/05/2021

Par Daniel MINGAUD

Avocat à la Cour

Spécialiste en Droit du travail

Il va sans dire qu’aujourd’hui Jérôme KERVIEL intéresse bien moins les médias que quelques années en arrière en plein procès pénal de cet ancien trader de la Société Générale.

A cette époque, l’affaire défrayait la chronique et agitait le monde politique… certains n’hésitant pas à comparer son cas à celui du Capitaine Dreyfus.

Le volet prud’homal n’a pas eu le même écho médiatique.

Bien loin de l’agitation de l’époque, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient de statuer sur la qualification du licenciement de Monsieur KERVIEL (Cass. soc. 17-3-2021 n° 19-12.586 FS-D, K. c/ Sté générale) en rendant un arrêt riche d’enseignements.

Dans cette affaire, le trader « junior » avait été licencié pour faute lourde par la Société Générale après avoir constaté que celui-ci avait pris des positions directionnelles sur différents indices boursiers d’un montant d’environ 50 milliards d’euros, dépassant ainsi largement la limite de risque de son activité. La banque lui reprochait aussi la dissimulation d’agissements frauduleux (opérations fictives, falsification de documents) générant un préjudice financier de 4,9 milliards d’euros.

En parallèle, et pour mémoire, l’ancien trader a été attrait devant le juge pénal qui a reconnu un partage de responsabilité entre lui et la Société Générale, après le constat de graves carences dans le système de contrôle interne de celle-ci (Cour d’appel de Versailles 23-9-2016).

Le salarié en avait profité pour contester son licenciement pour faute lourde, en s’appuyant sur la défaillance du système de sécurité et de surveillance de son employeur ainsi révélé au grand jour et qui, selon lui, avaient encouragé le développement de la fraude et ses conséquences financières exorbitantes.

Il pouvait, sur un plan juridique, s’appuyer sur une jurisprudence constante, selon laquelle l’attitude de l’employeur, ou plus exactement ses manquements, pouvaient constituer une circonstance atténuante de nature à écarter la faute lourde ou grave du salarié, voire la cause réelle et sérieuse du licenciement.

Ce raisonnement n’a pas prospéré devant la Cour d’appel de Paris (CA Paris 19-122018, n° 16/09186), ni devant la Cour de cassation.

Si certes la faute lourde, caractérisée par l’intention de nuire, n’a pas été retenue, les magistrats ont en revanche jugé que les circonstances avancées par le salarié, à savoir la part de responsabilité de la banque, ne faisaient en rien perdre aux fautes commises, « leur degré de gravité. »

Dans son arrêt confirmé par la Haute Cour, la Cour d’appel de Paris a ainsi jugé le licenciement fondé sur une faute grave, en retenant comme circonstances aggravantes la compétence du salarié et son niveau de responsabilité en vertu desquels il ne pouvait pas ignorer les risques qu’il faisait courir à son employeur, quand bien même celui-ci aurait facilité le développement de la fraude et son impact financier abyssal.

Retenons donc dans ce clap de fin de l’affaire KERVIEL que son statut (d’as de la finance) et la dimension hors norme des fautes commises ont joué en la défaveur du salarié dont il a été reconnu qu’il avait agi dans un esprit de lucre… Voyons si, à l’avenir, il demeure la guest star de la Fête de l’Huma !

Article publié dans la Gazette du Midi

 

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