Chronique Juridique
01/04/2021

Par Daniel MINGAUD
Avocat à la Cour
Spécialiste en Droit du travail

Engagé dans une course-poursuite « vaccination versus Covid 19 », le gouvernement multiplie les initiatives pour freiner la propagation de la pandémie, et plus particulièrement dans le monde du travail.

Le Ministère du travail a ainsi mis à jour le 9 mars dernier son site, en alertant sur l’impérieuse nécessité de maintenir le télétravail, notamment dans les PME après semble-t-il le constat d’un certain relâchement.

Si le télétravail devient peu à peu incontournable, il s’agit d’une notion récente aux contours juridiques encore en construction.

Le code du travail (art. L. 1222-9 III) garantit pour sa part au télétravailleur « les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise ».

Partant de ce postulat d’égalité de traitement, les télétravailleurs peuvent-ils bénéficier de titres-restaurant ? Il s’agit là d’une interrogation récurrente et légitime pour les employeurs en cette période de crise sanitaire et pour laquelle, malheureusement une réponse binaire semble aujourd’hui impossible.

Nous pouvons cependant dégager une « tendance ».

Si l'ANI (Accord National Interprofessionnel) du 26 novembre 2020 relatif au télétravail ne comporte aucune disposition relative aux titres-restaurant, cette question semblait être tranchée (en tout cas en cette période de Covid-19), le ministère du travail accordant l’octroi de principe de titres-restaurant aux télétravailleurs, sous réserve que « les autres salariés exerçant leur activité dans l’entreprise à condition de travail équivalentes en bénéficient également » (https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/coronavirus-covid-19/questions-reponses-par-theme/article/teletravail-en-periode-de-covid-19).

Cette position est partagée par l’URSSAF au nom du principe d’égalité de traitement entre les salariés.

Notons que l’URSSAF renvoie à son tour sur son site internet, à la position (depuis 2011) de la CNTR (Commission Nationale des Titres-Restaurant), qui précise que les télétravailleurs ne sont pas exclus du bénéfice du titre-restaurant, « sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux » (https://www.urssaf.fr/portail/home/employeur/calculer-les-cotisations/les-elements-a-prendre-en-compte/les-frais-professionnels/le-teletravail/attribution-de-titres-restaurant.html).

C’est justement un Tribunal, celui de Nanterre, qui vient de contredire cette position dogmatique très discutable du Ministère du Travail et de l’URSSAF (T.J. NANTERRE Pôle Social 10 Mars 2021 n° RG 20 /09616).

L’affaire concernait la majorité des salariés de l’UES (Unité Economique et Sociale) de Malakoff Humanis, placée en télétravail depuis le 17 mars 2020 (en raison de la crise sanitaire).

L’organisme de prévoyance avait décidé, à compter de cette date, de ne plus attribuer de tickets-restaurant aux salariés de l’entreprise affectés sur les sites sans restauration collective et placés en télétravail. Cette décision a été contestée en justice par une fédération syndicale, au nom du principe de l’égalité de traitement entre salariés.

Par jugement du 10 mars dernier, les juges de Nanterre ont estimé que « la fédération syndicale ne pouvait valablement soutenir que faute de remise de tickets-restaurant, les télétravailleurs ne bénéficieraient pas des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que les salariés travaillant sur site. »

En d’autres termes, les magistrats ont exclu du bénéfice des titres-restaurant les salariés en télétravail qui, en toute logique, ne sont pas soumis à des sujétions particulières les contraignant à prendre leur repas en dehors de leur domicile.

Si ce raisonnement semble tomber sous le sens, l’employeur doit se montrer prudent à l’avenir, il s’agit d’une jurisprudence à ce jour isolée, les tenants d’un égalitarisme radical pourraient avoir une autre lecture et rendre alors des décisions contraires.

En tout état de cause, si actuellement aucun e disposition légale n'interdit de subordonner l'attribution du titre-restaurant à certains critères, il est vivement recommandé de pouvoir justifier que d’une part que ceux-ci sont objectifs, et d’autre part qu’il n’en résulte aucune discrimination entre salariés.

Les 40 jours de jeûne de Carême jusqu’à Pâques n’étant pas un motif recevable pour stopper la distribution tickets resto (sauf peut-être au Vatican) , mieux vaut rester terre à terre et s’atteler à la rédaction d’une charte qui peut s’avérer particulièrement utile…

Article publié dans la Gazette du Midi du 29 mars 2021

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