Jurisprudence - Prolongation des détentions provisoires censurée par le Conseil constitutionnel

Actualité
04/02/2021

Le Conseil constitutionnel censure la possibilité de prolonger de plein droit les détentions provisoires durant l'état d'urgence sanitaire

Le Conseil constitutionnel, dans une décision de ce vendredi 29 janvier 2021, rappelle que l'appréciation de la nécessité de maintenir une personne en détention provisoire doit obligatoirement être soumise, à bref délai, au contrôle du juge judiciaire. Et ce, même en période d'état d'urgence sanitaire.

Il censure donc les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020 qui adapte la procédure pénale à l'urgence sanitaire (Ord. n° 2020-290, 25 mars 2020, art. 16 et 16-1). Toutefois, les détentions provisoires prolongées de plein droit pendant l'état d'urgence sanitaire ne pourront être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. La semaine dernière, le Conseil avait censuré les dispositions, issues de la même ordonnance, qui permettaient le recours à la visioconférence pour prolonger les détentions provisoires sans accord des parties (Cons. const., 15 janv. 2021, n° 2020-872 QPC).

Pour rappel, ces dispositions prévoyaient, de plein droit et pour des durées variables selon la peine encourue, des détentions provisoires, au cours et à l'issue de l'instruction. Elles devaient s'appliquer aux détentions provisoires en cours ou débutant entre le 26 mars 2020 et la fin de l'état d'urgence sanitaire. La loi du 11 mai a mis fin à l'application de ces dispositions pour les détentions provisoires venant à expiration à compter du 11 mai 2020. Les dispositions contestées se sont appliquées aux seules détentions provisoires dont les titres devaient expirer entre le 26 mars et le 11 mai 2020. La loi du 11 mai a également prévu que les détentions prolongées pour une durée de 6 mois devaient, dans un délai de 3 mois à compter de leur prolongation, être confirmées par une décision du JLD.

Le Conseil constitutionnel rappelle que l'objectif des dispositions contestées est d'éviter que les difficultés de fonctionnement de la justice provoquées par les mesures d'urgence sanitaire conduisent à la libération de personnes placées en détention provisoire avant que l'instruction ne puisse être achevée ou une audience de jugement organisée. Elles poursuivent ainsi l'OVC de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infraction.

Toutefois :

  • ces dispositions maintiennent en détention, de manière automatique, toutes les personnes dont la détention provisoire, précédemment décidée par le juge judiciaire, devait s'achever parce qu'elle avait atteint sa durée maximale ou que son éventuelle prolongation nécessitait une nouvelle décision du juge ;
  • ces décisions sont prolongées pour des durées de 2 ou 3 mois en matière correctionnelle et de 6 mois en matière criminelle ;
  • si les dispositions contestées réservent, durant la période de maintien en détention qu'elles instaurent, la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner la mise en liberté à tout moment, d'office ou sur demande du ministère public ou de l'intéressé, elles ne prévoient, durant cette période, aucune intervention systématique du juge judiciaire. Quant à la loi du 11 mai 2020, elle ne prévoit de soumettre au juge judiciaire, dans un délai de 3 mois après leur prolongation en application des dispositions contestées, que les seules détentions provisoires qui ont été prolongées pour une durée de 6 mois.

Le Conseil constitutionnel en conclut que ces dispositions maintiennent de plein droit des personnes en détention provisoire sans que l'appréciation de ce maintien soit obligatoirement soumise à bref délai, au contrôle du juge judiciaire. Or, le Conseil constitutionnel juge que l'objectif poursuivi par les dispositions contestées n'est pas de nature à justifier que l'appréciation de la nécessité du maintien en détention soit, durant de tels délais, soustraite au contrôle systématique du juge judiciaire. Il précise que, au demeurant, l'intervention du juge judiciaire pouvait, le cas échéant, faire l'objet d'aménagements procéduraux.

Ces dispositions méconnaissent donc les dispositions de l'article 66 de la Constitution.

Ces dispositions sont immédiatement abrogées. Mais la remise en cause des mesures qui ont été prises sur le fondement de ces dispositions méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait des conséquences manifestement excessives. Ces mesures ne peuvent donc être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Cette décision n'est pas surprenante. Le 3 juillet déjà, le Conseil constitutionnel avait rappelé la nécessaire intervention du juge pour décider de la prolongation d'une telle mesure alors qu'il était saisi de la conformité des dispositions de la loi d'habilitation du 23 mars 2020 (Cons. const., 3 juill. 2020, n° 2020-851/852 QPC). Il rejoignait l'interprétation de la Cour de cassation qui avait exercé un contrôle de conventionnalité et jugé que cette prolongation n'était conforme à la Convention EDH qu'à la condition qu'un juge judiciaire examine à bref délai la nécessité de la détention en cause (Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.971, FS-P + B + I ; Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.910, FS-P + B + I).

Sources : LexisNexis

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