Chronique Juridique
31/01/2024

Par Maître Ghizlane HANNOUTI-CANADAS

Avocat près la Cour d'Appel de Toulouse

Le formalisme en droit est considéré comme un élément de sécurité juridique. Mais il peut également devenir source de confusion lorsque la forme seule est retenue. Le risque est alors celui d’un "légalisme pour le légalisme" dont l’application peut être mal perçue. L’exigence du strict respect de certaines formules pour la validité des actes accomplis pour le compte de société en formation en était une illustration. 

Pour rappel, une société n’acquiert sa personnalité morale que lors de son immatriculation au RCS. Avant cette immatriculation, la société dite en formation, bien que dépourvue de personnalité morale, doit être en mesure de débuter son activité, ne serait-ce que pour conclure un prêt ou un bail.   

En pratique, il est d’usage que les fondateurs prêtent leur personnalité juridique à la société en cours de formation, en concluant eux-mêmes des contrats destinés à être repris par la société après immatriculation. Les actes ainsi repris (aux termes des statuts, par décision des associés après immatriculation, ou par un mandat spécial confié par les associés aux dirigeants) sont alors réputés avoir été souscrits par la société dès l'origine. 

Jusqu’alors, seuls étaient considérés comme conclus pour la société en formation les actes rédigés expressément comme ayant été conclus "par" le(s) associé(s) fondateur(s) et/ou dirigeant(s) "au nom" et/ou "pour le compte" de la société en formation.  

Les actes directement passés "par" la société en formation étaient systématiquement considérés comme nuls, malgré la véritable intention des parties.  

Hors de ces formules quasi-incantatoires, il n’y avait point de salut ; au risque de créer des effets de bords indésirables, puisque "parfois utilisée[s] par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements" comme la Cour le reconnait elle-même, « sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants », se trouvant dépourvus de tout débiteur en cas d'annulation de l'acte.  

Trois arrêts du 29 novembre 2023, rendus dans trois affaires différentes, réalisent un important revirement de jurisprudence valant pour toutes les sociétés en formation, commerciales comme civiles, en consolidant le domaine de la reprise des actes accomplis pour la société en formation (Cass. Com., 29/11/2023, 22-12.865, , 22-18.295 et 22-21.623). 

En effet, la Chambre commerciale de la Cour de Cassation permet désormais de sauver le contrat même mal formulé, en ce qu’elle invite les juges du fond à ne pas l’annuler sur ce seul fondement mais à rechercher si une analyse tirée de la "commune intention des parties", "par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèque", ne doit pas permettre de le valider en vue de sa reprise. 

Cette nouvelle jurisprudence permet donc de dépasser une approche purement et exclusivement formaliste de la conclusion du contrat, au profit d’un raisonnement pragmatique et de bon sens, qui fait parfois défaut. 

Pour autant, malgré l’abandon bienheureux de la jurisprudence évoquée, qui ravira les rédacteurs maladroits, il est préconisé de continuer d’utiliser les formules consacrées, et naturellement de vous faire assister à cet effet par les avocats toulousains spécialisés en droit des sociétés.  

À défaut, il sera bien sûr possible de sauver le contrat et sa reprise, mais au prix d’un procès et sous réserve d’une appréciation favorable souveraine des juges du fond… 

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