Chronique - Congé menstruel : le vide juridique

Par Maître Jérémie AHARFI, avocat au Barreau de Toulouse

Le 8 mars est passé et comme chaque année pour la journée internationale des droits de la femme, il était l'occasion de rappeler sa condition dans le monde du travail.

Si la charge mentale de la salariée ne s'arrête pas aux portes de l'entreprise, son droit à la santé n'est pas en reste. 

Selon les dispositions du code du travail, l'employeur doit prendre des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Lorsqu'un salarié s'absente dans le cadre d'un congé ou de la transmission d'un arrêt de travail, il n’a pas à délivrer à l'employeur d'informations liées à son état de santé.

Depuis plusieurs années, et parce que certains pays ont franchi le pas comme l’Espagne en 2023, s’est posée la question d’un droit opposable au congé menstruel, oui vous avez bien compris menstruel et non mensuel. Celui-ci consisterait à prévoir pour les femmes souffrant de « dysménorrhée » (règles douloureuses) incapacitantes, un ou plusieurs jours de congés.

Depuis plusieurs années, le législateur a su délivrer de nombreux messages d’encouragements à l’égard des entreprises sensibles au sort de ses salariées néanmoins il reste, pour l’heure, frileux à octroyer un cadre juridique au congé menstruel.

Par ailleurs, si l'évolution sociétale sur les sujets liés à l'égalité professionnelle et à l'inclusion fait qu’aujourd’hui le congé menstruel serai moins considéré comme une discrimination positive et plutôt comme un rétablissement de l’égalité des chances, il n’est reste pas moins qu’aucune loi n’a été votée à date sur son application aussi bien dans le secteur privé que public.

Pour ne rien arranger, la dernière tentative législative a dû être écourtée en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale.

Plusieurs motifs (non avoués) à ce constat, retenons-en deux ici.

1) Le 20 février dernier, la ministre chargée de l'Égalité femmes-hommes, Aurore Bergé, s'était dit en accord «sur le principe» avec le congé menstruel «Mais je ne voudrais pas que cela se retourne contre les femmes», avait-elle mis en garde.

Cet argument ne date pas d’hier, il est même assez ancien et se base sur le fait que les salariées en demandant le bénéfice pourraient subir une discrimination exacerbée dès l'embauche, dans l’évolution de leur carrière ou encore dans le cadre de leur mobilité. Cet argument peut s'entendre pour justifier un certain immobilisme mais constitue dans le même temps un étrange paradoxe lorsque que l’on sait que le principe de non-discrimination est également prévu par les dispositions du code du travail.

2)Second frein : le coût et le financement

Si nous parlons de « congé » depuis le début de cet article, il y a un an, une proposition de loi débattue devant le Sénat, qui n’a a priori pas su convaincre, prévoyait l'indemnisation de la salariée par le biais d'un arrêt transmis à la CPAM, timing périlleux alors que le gouvernement souhaitait déjà à l'époque réduire dans un souci d’économie carence et indemnités liées aux arrêts de travail d'origine non professionnelle.

Sans attendre le feu vert législatif, des entreprises et même des communes ont cependant décidé de se lancer dans une telle expérience en attendant un éventuel vote.

Pour les dernières, c’est un véritable phénomène de contagion qui s’amorce ces derniers mois, teinté parfois de combats politiques. Après la société civile, le monde associatif, ce sont donc désormais les collectivités locales qui demandent l’intervention du législateur.

C’était sans compter sur le contrôle de légalité des préfets qui n’entendent pas donner compétence à des instances délibérantes pour créer de nouvelles autorisations d’absences (ASA) pour les agents publics. 

Le préfet de la Haute-Garonne a ainsi saisi en référé le tribunal administratif de Toulouse à la suite de plusieurs délibérations et notamment une autorisation spéciale d’absence au bénéfice des agentes de la communauté de communes du Grand Ouest Toulousain souffrant de règles douloureuses, d’endométriose, d’adénomyose ou de dysménorrhées.

Le juge des référés lui a donné raison et a suspendu l’exécution de cette délibération en jugeant qu’un doute sérieux existait sur sa légalité en l’absence à ce jour de dispositions législatives ou réglementaires permettant de mettre en place des autorisations spéciales d’absence dites discrétionnaires autres que celles liées à la "parentalité" et "à l'occasion de certains événements familiaux" uniquement prévus par les dispositions de l’article L.622-1 du code général de la fonction publique.

C’est vraisemblablement le maintien de ces délibérations illégales et de ces expérimentations par les collectivités mais surtout et avant cela l’exercice de la justice qui va sans doute obliger (une fois encore) le législateur à s’emparer définitivement de ce sujet.

 

Article paru dans La Dépêche du Midi, Annonces légales