Comme déjà évoqué à plusieurs reprises dans ces colonnes, le forfait annuel en jours, comme modalité d’organisation du temps de travail, est extrêmement encadré.
Pour autant, le succès de ce dispositif – tout comme son efficacité - ne saurait être remis en cause, tant il est plébiscité par les salariés comme par les employeurs.
Pour les salariés affectés à des postes à responsabilités, il offre une grande autonomie dans la gestion de leur temps de travail.
Pour les employeurs, il permet une plus grande souplesse dans la gestion du personnel, l’objectif du forfait jours étant de faire travailler un salarié au-delà de 35 heures par semaine, sans avoir à lui rémunérer d’heures supplémentaires, mais en lui accordant des jours de repos en contrepartie.
Un nouvel arrêt de la Cour de cassation nous démontre une nouvelle fois que l’employeur doit cependant redoubler de vigilance dans l’application de ce forfait-jour (Cass. soc. 2-3-2022 n° 20-16.683 FS-B). Plus exactement, la Haute Cour vient de préciser que l’employeur doit appliquer le forfait-jours en se conformant strictement à son obligation de sécurité envers les salariés.
Cette obligation, visée à l'article L. 4121-1 du code du travail, impose à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Dans le cas d’espèce, et ironie du sort, l’affaire concernait un médecin du travail, salarié de la société Accenture, engagé sur la base d'un salaire annuel pour 218 jours.
Ce professionnel de santé estimait que son employeur n'avait pas satisfait à son obligation de sécurité à son égard au motif qu’il l’avait alerté en vain à plusieurs reprises sur sa charge de travail, le service médical d’Accenture étant, selon lui, en sous-effectif. Il invoquait notamment un état de santé dégradé et une non-reconnaissance de son travail à travers l'absence de perspectives d'évolution professionnelle.
L'employeur, pour sa part, estimait avoir rempli son obligation, arguant que les alertes sur la souffrance psychologique du salarié étaient intervenues seulement après des refus de promotion, et témoignant par ailleurs de sa proactivité par la sollicitation de la médecine de travail pour traiter de l’état de souffrance du salarié.
La Cour d'appel de Paris, convaincu par l’argumentaire de l’employeur, et au vu des éléments de preuve qui lui étaient soumis (et notamment certaines correspondances du salarié « louant l’écoute (…) et la disponibilité de sa hiérarchie ») a jugé le comportement de l'employeur conforme à son obligation de sécurité.
La Cour de cassation n’a pas partagé cette position.
Selon la Haute Cour, la cour d'appel (qui avait pu constater que l’employeur n'avait pas respecté les conditions légales de mise en œuvre de la convention de forfait-jours en ne contrôlant pas, via notamment la tenue d’entretiens individuels, l’amplitude et la charge de travail du salarié), aurait dû en déduire que celui-ci avait manqué à son obligation de sécurité.
Pour la Cour de cassation, l’employeur a manqué à son obligation de sécurité « dès lors qu'il ne justifiait pas (notamment par la tenue d’entretiens individuels) avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail du salarié restaient raisonnables et assuraient une bonne répartition dans le temps du travail et donc à assurer la protection et la santé du salarié (…) ».
Cette décision est lourde de conséquence pour l’employeur, qui s’expose à une condamnation à des dommages pour réparation du préjudice lié à son manquement à son obligation de sécurité.
Moralité (ou lapalissade…) : mieux vaut être irréprochable en matière de santé et de sécurité lorsqu’on engage un médecin du travail !
Article paru dans La Gazette du Midi le 2 mai 2022