Si le paiement du salaire est réglementé, en ce sens qu’il doit être versé par l'employeur au salarié de manière périodique et par un mode de paiement précis, aucune date de règlement n'est en revanche imposée à l'employeur (sauf disposition prévue par accord d'entreprise ou convention collective).
Le code du travail fixe uniquement que « le paiement de la rémunération est effectué une fois par mois » (article L.3242-1). L'employeur peut ainsi payer le salarié à la fin du mois ou durant le mois qui suit… mais, une fois la date établie, mieux vaut respecter cette échéance sous peine de s’attirer les foudres de magistrats.
En effet, par une décision inédite, la Cour de cassation vient de juger que le retard de versement d'une rémunération (ou d’une partie de celle-ci) constitue un « manquement suffisamment grave » pour que la rupture du contrat de travail soit imputée à l'employeur (Cass. soc., 6 juillet 2022, 20-21.690).
L’affaire concernait un salarié, engagé le 31 août 2000, qui a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur le 10 juin 2011, au motif qu’il n'avait pas encore perçu, à cette date, le salaire du mois de mai 2011, exigible le 31 mai.
Rappelons que la prise d’acte est un mode de rupture correspondant à la situation où le salarié considère, à tort ou à raison, que le comportement de son employeur rend impossible le maintien de son contrat de travail, si bien qu’il prend acte de la rupture (en imputant la responsabilité à son employeur).
Dès lors que le salarié a pris acte de la rupture de son contrat, celle-ci est immédiatement effective.
S’en suit alors (en principe), et comme dans le cas d’espèce, une action prud’homale à l’issue de laquelle le Juge, suivant une procédure accélérée sans audience de conciliation, devra trancher sur la question de savoir si la prise d’acte du contrat produit :
- les effets d'un licenciement abusif lorsque les griefs invoqués contre l'employeur sont fondés,
- ou les effets d'une démission lorsque les faits ne sont pas fondés.
Ce principe a été dégagé par la Cour de cassation (Cass. soc., 25 juin 2003, n° 01-42.335) qui, au fil du temps, a construit le régime juridique de la prise d'acte, en l’absence de réglementation prévue par le code du travail.
L’employeur a tout à craindre de cette construction jurisprudentielle, comme l’illustre cet arrêt du 6 juillet dernier.
En l’espèce, l’employeur a, dans un premier temps, convaincu les juges prud’homaux en indiquant :
- que le retard de paiement, ponctuel, n’était que de 10 jours,
- et que le salarié avait agi de manière prématurée, en prenant acte de la rupture de son contrat de travail, puisqu’il n’avait nullement alerté au préalable son entreprise sur l’absence de versement de son salaire pour pouvoir régulariser la situation.
L’employeur avait aussi pu mettre en exergue la singularité de ce litige, où le salarié en question était aussi titulaire d’un mandat social de gérant d’une filiale de la société de son employeur (la SARL AVIPUR) et avait ainsi la possibilité d’émettre lui-même les virements de son propre salaire !
Au vu de ces éléments, le Conseil de prud’hommes saisi de ce contentieux, a jugé le non-paiement à date, d’un seul mois de salaire ne justifiait pas que la rupture soit imputée à l’employeur, jugement que la Cour d’appel de Colmar a totalement infirmé.
Dans son arrêt du 27 octobre 2020, la Cour a en effet estimé qu’au contraire, le non-paiement à date du salaire d'un seul mois constituait un manquement suffisamment grave pour justifier une prise d'acte de la rupture de contrat.
Par la suite, la Cour de cassation s’est bornée à reprendre la position de la Cour d’appel de Colmar, qui avait constaté (à bon droit selon elle) "qu’à la date de la prise d’acte de la rupture, le 10 juin 2011, le salaire du mois de mai 2011 n’était pas payé et que ce manquement (était) imputable à l’employeur (ce qui) avait empêché la poursuite du contrat de travail."
En d’autres termes, selon la Haute Cour, sans alerte ou sommation préalable, le salarié qui voit son salaire impayé au bout de quelques jours après son exigibilité, peut, de son propre chef, rompre immédiatement son contrat de travail, rupture qui, compte tenu du « manquement suffisamment grave » de l’employeur serait imputable à ce dernier…
Cette position d’une « « ultra orthodoxie » juridique est particulièrement lourde financièrement pour l’employeur puisque, dès lors que la prise d’acte s’analyse en un licenciement abusif, il se voit condamner au paiement de l’indemnité de préavis, des congés payés correspondants, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans oublier les frais de procédure….
Poussé à l’absurde, le raisonnement suivi par la Haute Cour dans le cas d’espèce, reviendrait à dire que, si l’employeur avait fixé une date d’exigibilité de salaire le 10 du mois suivant, comme il peut se pratiquer dans certaines entreprises, il n’y aurait jamais eu de litige !
Voyons si cette jurisprudence, aujourd’hui isolée, deviendra la norme à l’avenir…
Article paru dans la Gazette du Midi - 16 novembre 2022