Statut des travailleurs des plateformes numériques : où va-t-on ?
Dans un arrêt retentissant du 19 avril dernier, le tribunal correctionnel de Paris a condamné la société Deliveroo France à une amende de 375000 euros pour travail dissimulé. Le ministère public, dont les réquisitions ont été entièrement suivies, a notamment utilisé la méthode du faisceau d’indices pour caractériser le lien de subordination présent entre les travailleurs et Deliveroo. Le tribunal correctionnel a donc utilisé la même méthode que celle de la chambre sociale de la Cour de cassation dans ses célèbres arrêts Take it Easy et Uber, dans lesquels une requalification des relations commerciales en relation salariale avait été faite.
Cependant, le fait de voir en la relation des travailleurs des plateformes une relation salariale n’est pas de l’avis de tous. En effet, cette décision s’inscrit dans un contexte particulier où les juges, le Gouvernement, et même la Commission européenne ne semblent pas partir sur les mêmes pistes pour régler la question des travailleurs des plateformes.
La piste du travailleur indépendant
Le 6 avril 2022, le Gouvernement a pris l’ordonnance n°2022-492 renforçant l’autonomie des travailleurs indépendants des plateformes de mobilités, laquelle comprend de nouvelles règles tant pour la plateforme que pour le travailleur. En outre, la plateforme doit désormais informer le travailleur de la destination et lui laisser un délai raisonnable pour accepter ou refuser la mission. Elle ne peut plus imposer un matériel ou des équipements spécifiques, sauf règles de santé sécurité impératives. Dorénavant, le travailleur doit être en mesure de déterminer librement son itinéraire et doit pouvoir travailler simultanément pour plusieurs plateformes.
En instaurant ces règles, le Gouvernement veille à ce que les critères phares sur lesquels les requalifications des relations de travail se basent soient encadrés, de sorte à limiter lesdites requalifications. Le Gouvernement se place alors quant à lui dans le courant du travail indépendant pour les travailleurs des plateformes, en contrepied total de la Commission européenne.
La piste de la présomption de salariat
En effet, le 9 décembre 2021, la Commission européenne a présenté un projet de directive (2021/0414) visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs de plateformes numériques. Le projet liste cinq critères illustrant le contrôle de l’exécution du travail par la plateforme. Toute relation de travail qui répond à au moins deux de ces critères sera présumée être une relation de travail salariale.
A travers ce projet, la Commission européenne se place dans le même courant que les juridictions françaises, et affiche clairement une volonté de protection des travailleurs à travers le statut du salarié.
La piste du statut hybride
Enfin, une autre vision est apparue dans le paysage à travers le rapport Frouin du 1er décembre 2020. Ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, M. Frouin s’est vu confier par le Premier ministre la mission de formuler des propositions liées aux plateformes numériques de travail, notamment concernant le statut des travailleurs. Il propose de rendre obligatoire le fait pour les plateformes de recourir à un tiers employeur sous forme de coopérative ou de société de portage. Celle-ci emploierait alors les livreurs afin de les mettre à disposition des plateformes. Cette solution, qui a éveillé de vives critiques quant au manque de protection qu’elle apporte pour les travailleurs, n’en est pas moins une proposition intéressante en ce qu’elle saisit la nécessité d’un statut hybride pour ces relations de travail d’un nouveau genre.
Reste à savoir si le nouveau Gouvernement prochainement nommé par Emmanuel Macron se saisira de cette question…
Article publié dans La Dépêche du Midi