L'employeur et le droit d'auteur : Causette joue collectif et gagne

Le 4 décembre 2014, le Tribunal de grande instance de Paris a rendu un jugement instructif, soulignant l’impérieuse nécessité pour l’employeur de sécuriser au maximum la propriété intellectuelle naissant sur les oeuvres créées par ses salariés et/ou prestataires indépendants.

La demanderesse, exerçant en tant qu’indépendante, a travaillé pendant 5 ans pour le magasine français Causette, à la réalisation de créations graphiques. Après avoir été remerciée et constatant que les créations graphiques à la réalisation desquelles elle avait concouru et dont elle s’estimait l’auteur, étaient toujours publiées, celle-ci a assigné en contrefaçon Les Editions Gynethic devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Le débat s’est cristallisé autour de la question de savoir qui devait être considéré comme l’auteur originaire des créations graphiques : Les Editions Gynethic, en tant que personne morale à l’intiative d’oeuvres collectives, ou la demanderesse, en tant qu’unique créatrice à l’origine des oeuvres en litige ?

La question est tranché en un attendu limpide: « l’élaboration du magazine Causette doit être qualifiée d’oeuvre collective car la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble de l’oeuvre ».

Il convient ici de rappeler qu’il n’est pas possible d’organiser par contrat la cession globale des droits d’auteurs d’une personne sur des oeuvres futures (article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle). Par conséquent, Les Editions Gynethic ont habilement soutenu qu’elles ne pouvaient pas anticiper la survenance d’un conflit en prévoyant en amont, dans les contrats de prestations de service conclu avec demanderesse, que cette dernière cèderait automatiquement toutes les créations dont elle serait à l’origine, dans le cadre de l’exécution de sa prestation.

Est-ce à dire qu’un employeur étant à l’origine d’une oeuvre qu’il souhaite exploiter, ne voit son sort définitivement scellé qu’une fois un conflit né et tranché ?

Non. L’employeur rigoureux prendra le soin de tracer à titre conservatoire dans ses documents contractuels le chemin de l’oeuvre collective s’il existe.

Ne serait-ce que pour éviter l’écueil des débats doctrinaux sur la prohibition de la cession des oeuvres futures et/ou les querelles procédurales autour de la cession tacite des oeuvres des auteurs salariés et /ou indépendants.

Dans l’attente de l’intervention du législateur sur la question et l’antagonisme des positions entre les partisans de l’auteur -roi et l’employeur- créateur….. car le match droit d’auteur, droit du travail n’est pas terminé et ne se gagne pour l’employeur que s’il joue collectif sur le terrain …et le prouve.

Il ressort de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle qu’est considérée comme collective l’oeuvre « créée à l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».

La difficulté est généralement de rapporter la preuve de la réunion de ces trois conditions cumulatives, ce qu’a fait l’employeur en l’espèce.

Ainsi, il a notamment versé au débat des mails échangés entre les membres du personnel, démontrant que le travail de création était réalisé en équipe et supervisé par le directeur de la publication du magazine, une attestation de la rédactrice en chef faisant état de ce que les maquettes sont le fruit d’une collaboration entre les salariés, le tout sous l’égide du directeur de la publication et dans l’esprit initial de la revue.

L’enseignement à tirer de ce jugement est le suivant : en amont, il est indispensable de rédiger des conventions claires avec ses prestataires et/ou salariés, qui tracent déjà le chemin de l’oeuvre collective et, si aval judiciaire il y a, garder toute trace des documents attestant de ce que le travail de ceux-ci se fond dans un ensemble orchestré par l’employeur. En un mot, jouer le collectif pour terrasser « les marquages » individuels et appétits procéduraux.